“COVID-19 a bousculé la prestation de soins en personne dans les établissements pénitentiaires” indique Dr Taoufik Abtal, Chef de la Division de l’Action sanitaire à la Délégation Générale à l’Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion (DGAPR).
Il a fallu trouver une solution urgente pour permettre d’assurer la continuité de services de prise en charge et le suivi médical des personnes en situation de détention dans le respect de la qualité, de la confidentialité et de la sécurité.
“ La plate-forme de télémédecine lancée avec l’appui de l'UNFPA se présentait comme une solution incontournable pour la continuité des consultations intra-muros auprès des détenus. Aujourd’hui, elle continue encore à maintenir l’accès aux soins dans les établissements pénitentiaires ne disposant pas de médecins permanent”
A la prison locale Larache II, l’Unité médicale prend en charge des populations en situation de détention grâce aux téléconsultations. Cette action est aujourd’hui appuyée dans le cadre du Projet ACCESS mis en œuvre avec l’appui de l’UNFPA et le soutien du Ministère des Affaires Étrangères du Danemark. Le travail conjoint met également l’accent sur la mise en place du Dossier médical électronique dans les établissements pénitentiaires. « Il permet une meilleure maîtrise de la traçabilité des informations médicales des patients, une préservation optimale du secret médical, un gain du temps et une économie indéniable à tous les niveaux y compris la continuité de la prise en charge médicale suite au transfert des détenus d'un établissement à un autre et lors des libérations », explique Dr Abtal.
Les actes comme les consultations des dossiers électroniques se déroulent au sein de la prison dans un bureau de l’Unité médicale équipée d’une plateforme sécurisée. Le détenu est en contact à distance avec le médecin qui l’écoute, diagnostique l’état de santé, consulte le dossier médical électronique et prescrit l’ordonnance avant de l’envoyer au médecin ou aux infirmiers sur place pour assurer le suivi.
Mise en place au niveau de 24 sites, la télémédecine devrait permettre l’élargissement de l’éventail de ses services à d’autres prisons relevant de la DGAPR. “Nous espérons pouvoir généraliser ces plateformes digitalisées à tous les établissements pénitentiaires, pour faire bénéficier les détenus de consultations spécialisées à distance avec les médecins des structures de santé publique en limitant leur déplacement et en préservant leur dignité”, souligne Dr Abtal, lui qui sillonne les prisons du pays depuis 27 ans.
Santé carcérale à l’étude
Le renforcement des capacités des cadres de la DGAPR est assuré également pour une meilleure utilisation et partage des données et statistiques produites sur la population carcérale. A cela s’ajoute l’appui au lancement du diplôme universitaire de la santé carcérale en partenariat avec l'université Hassan II. “Le Maroc est le seul pays dans la région MENA à mettre en place cette formation. C’est un projet qui s’étale sur quatre ans avec la formation en perspective de 25 de nos médecins par année”, note fièrement le Dr Abtal. Dans le pipe figure aussi une étude CAP en faveur des jeunes détenus et une autre sur les besoins des populations vulnérables, en situation de handicap, migrants, femmes accompagnées de leurs enfants et personnes âgées détenues en matière d’information et services.
Quand les éducatrices-paires détenues servent de trait d’union
Aborder la santé sexuelle et reproductive n’est pas toujours aisée avec les personnes en situation de détention. “Elles sont très vulnérables et vivent mal le regard de l’autre que ce soit la famille ou la société”, indique Fatima Zahra Hamoumi, psychologue au sein de la prison locale Larache II. Elle explique que certaines femmes détenues se méfient des consultations médicales notamment au début de leur incarcération. C’est ainsi qu’a émergé l’idée d’impliquer des détenues en tant qu’éducatrices-paires pour assurer la sensibilisation de proximité de leurs pairs dans les cellules et servir de trait d'union entre détenues et professionnels de santé. “Elles adhèrent dès qu’elles constatent la qualité de la prise en charge médicale et psychosociale et l’implication des membres de la communauté carcérale”, ajoute-t-elle.
Éducatrices-paires détenues et promotion de la santé sexuelle et reproductive
"Dans le cadre du partenariat entre la DGAPR et l’UNFPA, il était prévu de former le personnel pénitentiaire sur la santé sexuelle et reproductive. Mais il a été constaté que les résultats seront meilleurs si on forme aussi les détenues comme éducatrices-paires", explique le Dr Rifai Nisrine, cadre au niveau de la Division de l’Action Sanitaire à la DGAPR. Le choix s’est porté sur une vingtaine de détenues au niveau de chaque établissement pénitentiaire et sur cinq thèmes à savoir la maternité, les cancers, les infections sexuellement transmissibles, le VIH et la violence en se basant sur des supports ludiques. Elle précise que l’appui de l'UNFPA a permis la formation de 292 formatrices paires qui ont réussi à former 900 détenues à travers des ateliers et toucher 696 autres détenues de manière indirecte. Et les résultats sont perceptibles auprès des détenues. L’une d’elles, Karima, affirme que suite aux actions de l’éducation à la santé, elle est de plus en plus consciente de l’importance de préserver sa santé et de faire les dépistages du cancer de sein et celui du col de l’utérus. “La psychologue et le personnel médical nous aident beaucoup à prendre conscience de notre valeur. J’attends ma libération dans quelques mois et je vais continuer à prendre soin de ma santé pour un nouveau départ dans la vie”, confie-t-elle. Des kits contenant des supports de prévention sanitaire en matière de sensibilisation à la santé sexuelle et reproductive et contre la violence basée sur le genre, sont distribués aux détenues lors de la libération. Ils leur rappellent que la réinsertion passe incontestablement par une bonne santé physique et mentale.
Ces histoires humaines et témoignages sont extraits du premier numéro de la revue “Résilience : continuité des services essentiels et autonomisation des femmes et des filles en siatuation de vulnérabilité” parue sur l'impact du Projet ACCESS mis en œuvre au Maroc avec l'appui de l'UNFPA et le soutien du Ministère des Affaires Etrangères du Danemark.