« Je me souviens de ce jour où une jeune femme, enceinte de son premier enfant, est arrivée trop tard à la maison d’accouchement. Le bébé qu’elle portait était mort, victime d’une détresse fœtale. »
Ce moment, lourd et silencieux, reste marqué dans la mémoire de Hasna, sage-femme dans la maison d’accouchement d’El Ksiba, nichée au pied des montagnes à une cinquantaine de kilomètres de Béni Mellal.
Hasna explique que si de nombreuses femmes peuvent faire le suivi de leurs grossesses auprès des structures de santé, beaucoup continuent d’opter pour l’accouchement à domicile. Quand elles font face à des complications, ces femmes prennent le risque d’arriver trop tard en milieu surveillé.
Dans de nombreuses localités, cette réalité est alarmante. Une étude de prévalence des accouchements à domicile, conduite par la Direction Régionale de la Santé et de la Protection Sociale de Beni-Mellal-Khénifra avec l’appui de l’UNFPA dans le cadre du Projet ACCESS, soutenu par le Ministère des Affaires Étrangères du Danemark, révèle que la quasi-majorité des femmes (97%) de la commune d’Ait Abbas accouche à domicile.
« Ce chiffre est alarmant et l’étude identifie plusieurs facteurs, » explique Abdessalam kardoudi, Docteur en Biologie et enseignant chercheur à l’ISPITS de Beni-Mellal.
Il y a plusieurs facteurs à prendre en compte, notamment les spécificités culturelles propres à la communauté, l'isolement géographique dû à l'éloignement et à la difficulté d'accès à la commune, située en zone montagneuse, ainsi que la structure décisionnelle locale, où certains acteurs jouent un rôle influent dans les choix familiaux et communautaires.
Il précise que lors des entretiens effectués, les participantes à l’étude déclarent que la préférence pour les accouchements à domicile se justifie par la crainte de l’orientation vers un hôpital de référence à Azilal ou Beni-Mellal, ce qui représente un coût difficilement supportable par les familles.
« Un audit sur la mortalité néonatale dans la région a révélé 442 décès en 2022. Ce chiffre élevé est lié pour la majorité à des femmes issues du milieu rural et qui ont été référées suite à une complication constatée lors de tentatives d’accouchement à domicile, » ajoute Abdessalam.
Une feuille de route pour sauver des vies
Cet enseignant-chercheur souligne que les recommandations formulées au terme de cette étude insistent sur le recrutement de plus de relais communautaires, acteurs clé de sensibilisation sur la santé maternelle et communautaire notamment au niveau des régions montagnardes. À cela s’ajoute, toujours selon la même source, l’autonomisation des femmes, l’encouragement de la scolarisation des filles, la lutte contre le mariage d’enfants et les grossesses des adolescentes et le développement local, nécessitant l’implication de différents intervenants dans le cadre d'une approche holistique.
De son côté, Hasna continue d’encourager les femmes à faire des choix éclairés par rapport à leur santé maternelle.
« Je leur explique que chaque accouchement est particulier et que certaines complications peuvent être fatales. »
Elle se réjouit qu’il y ait une certaine prise de conscience de l’importance du suivi des grossesses et des accouchements en milieu surveillé, où la prise en charge est gratuite.
« J’ai fait le suivi de ma grossesse depuis les premiers mois avec la sage-femme dans la maison d’accouchement. Elle me recevait pour consultations et échographies et me donnait des conseils en matière d’hygiène et d’alimentation », souligne Soukaina, une jeune maman de 23 ans.
Soukaina a rejoint la maison d’accouchement d’El Ksiba, où elle a donné naissance en toute sécurité à son premier bébé.
« Avec un personnel expérimenté dans un lieu de santé bien équipé, je suis entre de bonnes mains, » ajoute-t-elle.
Hasna, qui a accompagné Soukaina, insiste sur l'importance d'un suivi précoce des femmes enceintes dès le début de leur grossesse. Ce suivi régulier permet de surveiller le bon déroulement de la grossesse, d'assurer le développement optimal du fœtus et de garantir un accouchement dans des conditions sécurisées.
« Le suivi constitué de consultations régulières et de différents examens permet de dépister les éventuelles complications aussi bien pour la maman que le fœtus et la mise en place en cas de besoin d’une surveillance précoce et adaptée. Et au-delà permettre aux mamans de vivre en toute sécurité, des instants de bonheur en accueillant leurs bébés,» conclut-elle.
Une approche holistique
La mortalité maternelle et néonatale revêt une grande importance lors des réunions de Task force, organisée par la Direction Régionale de la Santé et de la Protection Sociale à Tanger, dans le cadre de l’appui du Projet ACCESS.
« La task force permet de réunir différents intervenants représentant les secteurs de la santé, du social, des autorités locales et de la société civile, autour des questions relatives à la santé reproductive, notamment la question des décès maternels, » explique Mohammed Boutmine, point focal des programmes de santé maternelle à la Direction Régioanle du Ministère de la Santé à la Région de Tanger Tetouan Al Hoceima.
Les recommandations insistent, entre autres, sur les actions de sensibilisation, de formation et la qualité des soins pour éradiquer cette problématique. Dans cette initiative, s’inscrit la mise en place d’un prix régional de qualité en santé sexuelle et reproductive qui a permis de récompenser trois établissements de soins de santé primaire ayant respecté les critères d’inclusion et excellé dans la prise en charge de qualité des usagers.
Dr. Hafida Yartaoui, médecin généraliste, défend, quant à elle, le renforcement des capacités des femmes à contrôler leur santé en toute autonomie à travers l’approche du self-care, objet d'un partenariat entre l'UNFPA et l’OPALS dans le cadre du Projet ACCESS.
« L’enjeu est l’autonomie des femmes en matière de santé sexuelle et reproductive. Et c’est dans ce sens qu’intervient l’adaptation au Maroc du Disque de l’OMS sur le self care en santé sexuelle et reproductive », précise cet ancienne Cheffe de Division de la planification familiale au sein du Ministère de la Santé et de la Protection Sociale.
Ce disque présente aussi les critères de recevabilité médicale pour l’adoption de méthodes contraceptives. Il permet ainsi aux prestataires de la planification familiale de recommander des méthodes de contraception sûres et efficaces aux femmes présentant des pathologies ou des caractéristiques pertinentes du point de vue médical. Pour Dr Hafida Yartaoui, donner accès à un large choix de contraceptifs, c’est offrir aux femmes le pouvoir de mieux planifier leurs grossesses et leur avenir.
Cette histoire, publiée à l'occasion de la fête des mères, est extraite du second numéro de la revue “Résilience : continuité des services essentiels et autonomisation des femmes et des filles ” parue sur l'impact du Projet ACCESS mis en œuvre au Maroc avec l'appui de l'UNFPA et le soutien du Ministère des Affaires Etrangères du Danemark.