On ne peut pas aborder l’univers des femmes et des filles et de leur santé sexuelle et reproductive, sans parler de la profession sage-femme, un engagement singulier qui reste souvent à l’ombre alors qu’il plonge dans l’intimité de la vie humaine, de la puberté à la ménopause et au-delà.
« Pendant une dizaine d’années, j’assurais une moyenne de 30 à 40 accouchements par garde sans compter les admissions et les urgences, » dit Mina, sage-femme reconvertie à l’enseignement à l’ISPITS de Beni-Mellal.
Loubna, qui enseigne maintenant à l’ISPITS de Marrakech connaît aussi le rythme intense des salles d'accouchement après avoir travaillé pendant plusieurs années dans la maternité de référence à l’hôpital provincial de Beni-Mellal.
« Cette expérience m’a rendue plus résiliente », confie Mina, qui, comme Loubna et d’autres enseignantes sages-femmes, portent aujourd’hui la responsabilité d’assurer une meilleure préparation des nouvelles générations à un métier pas comme les autres.
Le premier défi auquel elles font face reste intimement lié à l’image de la profession. En effet, malgré la diversité de ses interventions, l’image de la sage-femme a toujours été liée à l’accouchement. En dépit de son action sur le terrain, beaucoup de femmes et de filles ne savent toujours pas qu’elles peuvent avoir recours à elle pour l’ensemble des questions relatives à leur santé sexuelle et reproductive.
Un éventail d’interventions
“ La sage-femme intervient dans les consultations obstétricales, le suivi des grossesses, la planification familiale, les classes des mères, le dépistage du cancer du sein et du col de l’utérus et même le suivi médico-légal en cas de violences sexuelles. On est polyvalentes, ” déclare fièrement Fatima Zahra, sage-femme dans un Centre de Santé à Beni-Mellal.
Dans une initiative appuyée par l’UNFPA, dans le cadre du Projet ACCESS soutenu par le Ministère des Affaires Etrangère du Danemark, le premier Healthaton des sages-femmes à l’ISPITS de Beni-Mellal a permis de dresser un nouveau portrait de la sage-femme.
Nous avons utilisé le dessin, le jeu et le théâtre pour informer la nouvelle génération des étudiantes sur la large mission des sages-femmes, » précise Mina.
Asmâa, l’une de ces étudiantes, estime que l’approche par le théâtre rend la communication fluide sur des sujets sensibles comme les infections sexuellement transmissibles. Sa camarade Safae a également apprécié cette approche qui a permis de mettre en lumière l’importance de l’éducation à la santé sexuelle et reproductive.
Sur le plan pratique, Asmâa a gagné en confiance.
« Les stages en milieu hospitalier m’ont permis de me confronter tôt à la réalité de la pratique. Le plus marquant a été la rencontre avec une mère célibataire très jeune. Une enfant qui donne la vie à un autre enfant », confie-t-elle.
Si ce premier contact avec l’environnement de la pratique est fortement bénéfique, il reste encore bien des efforts pour surmonter le second défi de la capacité d’agir tout le long du cycle de vie pour une meilleure santé sexuelle et reproductive des jeunes et des femmes.
Autonomisation et leadership
Fraîchement diplômées, de nombreuses sages-femmes sont souvent affectées en milieu rural et font face dès le début de leur carrière à des situations qui demandent au-delà de leurs compétences professionnelles, de grandes capacités personnelles d’adaptation.
En effet, le Projet ACCESS a soutenu un processus de renforcement des capacités des sages-femmes à Marrakech en mettant l’accent sur le développement personnel, les soft skills, l’estime de soi ainsi que la gestion du stress et de conflits.
Au cœur de ce processus figure le leadership, une compétence clé que Loubna propose d’aborder dès la formation initiale des étudiantes sages-femmes et de l’entretenir tout au long de leur carrière afin de s’adapter à une profession en perpétuel changement dans un monde en évolution.
« Le leadership permettra aux sages-femmes une intégration fluide avec un esprit d’équipe dans leur milieu de travail et rendra leur action plus visible, et plus complète » confirme Mariam, sage-femme et infirmière cheffe au service mère-enfant à l’hôpital Ibn Zohr à Marrakech.
Parallèlement à leurs actions sur le terrain et à la préparation des nouvelles générations qui prendront le relais, les sages-femmes sont aussi partie prenante au sein des institutions pour l’opérationnalisation d’actions structurelles visant à répondre au troisième défi de toucher les populations les plus vulnérables.
Pour ne laisser personne pour compte
« Mon combat pour la sage-femme ne s’est jamais éteint même en étant éloignée des salles d’accouchement, » déclare Imane, point focal des programmes de santé maternelle et néonatal à la Direction Régionale de la Santé et de la Protection Sociale de la Région de Fès-Meknès.
Mettant son expertise de plus de 15 ans au service de la santé sexuelle et reproductive, Imane explore aujourd’hui de nouvelles initiatives au profit des filles rurales.
« J’ai découvert que l’éducation à la santé sexuelle et reproductive peut éviter des tragédies humaines alors j’en ai fait mon autre combat, » confie-t-elle.
Des initiatives appuyées dans le cadre du Projet ACCESS, à l’internat d’El Hajeb et à Dar Taliba de Galdamane dans la région de Taza, ont permis de sensibiliser plusieurs groupes de jeunes filles qui habitent loin de leurs familles sur la gestion de l’hygiène menstruelle et la santé sexuelle et reproductive .
Des sujets que les filles discutent pour la première fois, explique Fatima Zahra, collégienne de 15 ans. Parallèlement, environ 2500 kits menstruels ont été mis à leur disposition, pour faire face à la précarité menstruelle.
Ihsane et Nadia, adolescentes de 14 et 15 ans soulignent qu’à la puberté, les filles sont livrées à elles même en ce qui concerne la menstruation.
« La sage-femme nous a facilité les informations. Je n’ai plus honte de la menstruation et le kit est un cadeau précieux, » ajoute Nadia.
Imane espère inscrire cette action dans la durée. Pour elle, les modèles qui se développent à l'adolescence sont susceptibles de persister pendant toute la vie adulte.
D’autres rencontres ont été dédiées au mariage d’enfants avec une grande mobilisation des différents intervenants pour sensibiliser sur cette pratique néfaste qui subsistent dans les localités les plus éloignées du pays.
Quand il s’agit d’accompagner l’évolution des normes sociales, les sages-femmes ouvrent la voie de travail conjoint avec des personnes relais leur permettant de répondre au quatrième défi d’agir en proximité avec les communautés.
Un engagement communautaire
Dans une initiative appuyée par le Projet ACCESS, Nawal, une de ces relais communautaires travaillant avec l’OPALS, sillonne les milieux défavorisés pour sensibiliser sur le dépistage des infections sexuellement transmissibles dont le VIH/SIDA et le dépistage du cancer du sein et du col de l’utérus et informe sur l’accès aux soins de santé gratuits.
“ Je transmets ce que j’apprends des sages-femmes et médecins lors des ateliers de formation, pour orienter les femmes et les filles vers les structures de santé afin de bénéficier des prestations liées à la santé sexuelle et reproductive, “précise-t-elle.
Lancée à Laâyayda, cette initiative a impliqué aussi bien des femmes relais marocaines que des migrantes de l’Afrique Subsaharienne. Une série de campagnes pluridisciplinaires est organisée en faveur de cette communauté en mettant à leur disposition des kits d’hygiène menstruelles, et des messages d’information, éducation et information. Maryam qui figure parmi ces femmes migrantes, est un modèle de résilience. Ayant subi la mutilation génitale féminine dans son pays d’origine à l’âge de 8 ans, elle s’engage aujourd’hui pour mieux informer les communautés migrantes sur l’impact dévastateur de cette pratique préjudiciable et encourager à son abandon pour un meilleur avenir pour les femmes et les filles.
Cette histoire, publiée à l'occasion de la journée internationale de la sage-femme, est extraite du second numéro de la revue “Résilience : continuité des services essentiels et autonomisation des femmes et des filles ” parue sur l'impact du Projet ACCESS mis en œuvre au Maroc avec l'appui de l'UNFPA et le soutien du Ministère des Affaires Etrangères du Danemark.